Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/27

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tout le quartier devisant sur mes malheurs, c’est le colportage, du boucher chez la fruitière, des événements de cette nuit, dénaturés et grossis. » Et il revenait, au milieu de ses hésitations, à ce parti qui lui était apparu, le premier, alors que, délivré du Monsieur, il remontait l’escalier : reprendre son existence d’autrefois, rayer deux années de sa vie, s’efforcer d’oublier dans le travail les souvenirs irritants que lui laisserait sa femme.

Il s’affermissait, de plus en plus, dans cette résolution. Il eut un geste brusque, mit de l’ordre dans ses papiers, déchira les uns, consuma les autres et il demeurait, mélancolique, s’intéressant, pendant une seconde, aux étincelles qui couraient dans la cheminée, au vent qui faisait tressaillir les cendres et soulevait l’amas noir et rouge des paperasses brûlées. Puis, il soupirait, ficelait des livres, fouillonnait dans une commode, mettait du linge, en paquet, sur un fauteuil. Il lui fallut chercher sa valise, serrée dans un cabinet de débarras, près de la cuisine, et, doucement, il poussa la porte, prêtant l’oreille, n’entendant aucun bruit, ayant presque peur de rencontrer sa femme.

Quand il entra dans la cuisine, il resta, stupide, devant les reliefs du repas ; les deux assiettes, avec les fourchettes et les couteaux jetés dessus, en croix, l’émurent ; il revit devant ces vaisselles torchées, devant ces deux verres où ils avaient bu, le tête-à-tête du dernier dîner, l’adorable mouvement de sa femme, relevant sa manche et servant la sauce,