Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/324

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dont elles ébranlent, dans la bousculade, les éventaires et les tables avec la poussée saccadée de leurs ventres. Ajoute encore un brouhaha furieux, des gueulements rauques auxquels répondent des crécelles aiguës de femmes, puis, de tous côtés, sous le vert-de-gris des bâches, des envolées bleues et blanches de blouses, des coups de rouge frappés par des ailets de laine, à manches, des taches de lilas plaquées par les blouses à petites raies des garçons bouchers ; enfin, des blancs de bonnets et des noirs de casquettes montant et descendant, sans arrêt, dans le flux ininterrompu des têtes, bref, toute une foire de banlieue, serrée, en plein Paris ; dans la cour d’une maison pauvre ! Tu le vois, tes oreilles et tes yeux auront leur compte et ton nez l’aura aussi, car il y a trois zones d’odeurs différentes à franchir ; en entrant par la rue Royale, c’est une âcre fumée de copeaux qu’on brûle et un rance parfum de beignets qu’on frit ; au milieu de la cour, c’est la marée qui domine salant des tièdes et molles bouffées échappées des caves ; à l’autre bout, près de la rue Boissy-d’Anglas, toutes ces senteurs disparaissent et l’on ne boit plus alors que l’haleine empestée des plombs.

Voilà ! – Eh bien, à Ménilmontant ou à Montparnasse, cette foire ne serait ni bizarre ni drôle, mais il faut avouer qu’ici, c’est tout de même curieux de trouver dans ce quartier riche, dans cette rue Royale, à deux pas de la Madeleine, au milieu de ces magasins de gala, de ces restaurants et de ces cafés, chamarrés