Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/36

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propos de chaque objet. Sa femme avait touché à tous, raccommodé les uns, acheté les autres, feuilleté tel livre, parcouru tel autre, les jours où câlinement elle lui disait : Donne-moi quelque chose à lire, prenait un volume, l’ouvrait, et, le lui rendant, faisait : Pouh ! ce n’est pas amusant !

Il essaya de se soustraire à son ménage, tâcha d’ensevelir le présent, se tendit l’esprit à se rappeler mille détails de sa vie de garçon qui pourraient maintenant lui être utiles. Il méditait une réorganisation d’intérieur, s’ingéniait à éviter d’avance les misères qui se ruent dans les logements sans femme ; il remuait des décombres de souvenirs et alors que leur évocation lui souriait, par une évolution presque insensible de pensée, son existence d’homme marié lui sautait devant les yeux et s’établissait, là, à demeure. Il se sentait repris de colères furieuses, d’irritants dépits, plus exaspéré peut-être par cette hantise qu’il ne pouvait chasser que par la cause même qui la faisait naître.

Puis, comme ces joujous d’enfants où une sentinelle, après avoir décrit des courbes sur un plateau, revient forcément à l’endroit d’où elle est partie, sa pensée, après mille circuits, s’arrêta net au point exact, à la façon dont sa femme l’avait dupé. Son orgueil blessé saigna, sa rage s’accrut, il s’étonna, pendant une minute, de n’avoir pas étranglé l’amant de sa femme.

Cyprien rentra chargé de paquets ; ils dressèrent la table. Le peintre attaquait vigoureusement l’assiette assortie,