Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/37

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s’enfournait de la hure et des miches de pain et lappait sec. André chipotait, mangeait du bout des dents, s’ingurgitait de grands coups d’eau rougie pour faire couler là viande, mais les morceaux lui restaient dans la gorge ; il repoussa, dégoûté, l’assiette.

— Je ne peux pas avaler, dit-il.

Le mazagran qu’un cafetier monta le réconforta un peu.

Cyprien avait bâfré et pinté comme quatre ; il se renversait un peu sur sa chaise et éprouvait le bien être des appétits repus. Il voyait tout en rose, pour l’instant, et chiffonnant sa serviette, il répétait, de temps à autre, en regardant son camarade : « Tiens, ce pauvre vieux ! » et il regrettait de ne pouvoir dîner avec lui : il était, par extraordinaire, de corvée, le soir, un dîner de famille, un de ces dîners où l’on se réunit, une fois l’an, pour débiter d’ineptes gaudrioles et choquer des verres.

André se taisait ; d’un côté, il préférait s’isoler. Cyprien le gênait. Il commençait à oublier la situation cruelle de son ami, ne comprenait pas que possédé par une idée fixe, André ne pouvait admettre que lui, Cyprien, ne fût pas également contrit. Avec l’égoïsme des gens qui souffrent, André pensait, en effet, que le peintre se désintéressait trop des douleurs d’autrui. Les encouragements que Cyprien lui avait jetés, comme un morceau de sucre pour le faire tenir en place : « Du courage, ma vieille, ça ne sera rien, tu travailleras mieux maintenant que tu es libre, à quoi cela te sert-il de te désoler puisque tu n’y peux rien ? »