Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/60

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facile à clore ; mais une figure dominait, comme dans une apothéose de dégoûtation, la cour, la salle, les maîtres, la figure du marchand de soupe, beuglant d’une voix énorme, giflant à tour de bras, laissant le chaton de sa bague imprimé en rouge sur les joues. Il le revoyait avec son ventre prodigieux, sa tête de veau, ses bras d’hercule, il se rappelait ses viles finasseries, ses grossiers mensonges, l’exhibition qu’il faisait d’un livre contenant des portraits d’hommes, chimériquement ravagés par la syphilis. Tiens, tu vois, l’ami, disait-il, tu deviendras comme cela si tu continues à t’amuser avec tes petits camarades ; et, il vous gravait l’infecte image dans la tête, à coups répétés de calottes.

Et Cyprien et André aidaient leur mémoire, l’un l‘autre. Ils se remémoraient les caresses disputées des lapins, les cigarettes fumées dans les lieux, la religion imposée à coups de pensums, les envies douloureuses des orphelins qu’aucun ami, aucun correspondant ne venait chercher, les supplices des infirmes, raillés par toute une classe, bousculés, battus, sans pouvoir se défendre, les malheurs des bâtards dont on injuriait les mères, l’infamie du pion qui fermait les yeux parce que les assaillants étaient ses favoris et ses choux-choux.

Et d’autres, d’autres souvenirs se réveillaient encore : les peurs terribles, les fuites au cri répété de « vesse, vesse v’là le pion ! » le charivari, dans les rues, lorsqu’on se dirigeait vers le collège, la mère « Ça Pue », une marchande près de Saint-Sulpice, qui se dressait,