Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/78

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peu reculée et appuyée à la renverse sur le dossier de sa chaise.

— Et ce café, dit le mari, il n’arrive donc pas ?

— Eugénie, à quoi pensez-vous donc, cria la femme, vous voyez bien que Monsieur attend son café, ma fille !

La bonne apporta un sucrier, une tasse, une cuiller, versa le café d’une petite bouillotte. Madame Désableau se trempa un canard, permit à l’enfant d’y mordre, fit fondre béatement le restant du morceau de sucre dans sa bouche.

Depuis huit mois qu’il avait été promu sous-chef dans une mairie, M. Désableau avait enfin assouvi le désir qui le possédait depuis des années, prendre du café, tous les jours, après ses repas. Jusqu’alors sa femme s’y était opposée, par économie.

— Ce n’est pas tant le café qui est cher, disait-elle, c’est le sucre qu’on y met.

Contraints à mener la vie fétide et bornée des pauvres bourses, les Désableau avaient dû, pour joindre les deux bouts, se priver, tous les jours de la semaine, à l’exception du dimanche, de ce misérable luxe de la demi-tasse que les concierges et les ouvriers eux-mêmes ne se refusent pas.

Pendant vingt années, M. Désableau avait couvert des fiches de bâtarde et de ronde, classé dans des cartons d’inutiles paperasses, tenu à jour un volumineux registre culotté de peau verte. Il avait, au bout de ce laps de temps, acquis les manies nécessaires pour commander aux autres ; l’on attendait sans