Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de ces futures joies, rêvait, absorbée, sur sa chaise, lisait à la quatrième page du journal le programme des représentations, pensait à Fra-Diavolo qu’elle avait admiré jadis, se sentait de vagues désirs pour le ténor qui emplissait si fièrement ses culottes blanches et poussait des sons roucoulants, dans des poses plastiques.

Elle avait eu, comme presque toutes les femmes, un idéal de cabot pommadé, puis, peu à peu, elle s’était rendu compte que ces séduisants personnages n’étaient au demeurant que des bouffons vulgaires, des machines malpropres qui crachaient des notes.

Son idéal devint alors plus nébuleux et plus confus. À peine s’incarnait-il dans les aimables forbans décrits par Fénimore Cooper, dans les héros fabriqués par George Sand ou par Dumas père. Elle contentait ses élans et ses fièvres en les déversant sur son piano qui retentit pendant des mois de rêveries larmoyantes et de marches turques.

Puis elle eut une heure de bon sens, elle reconnut l’inanité de ses songeries ; alors elle pensa, au solide, au bien-être d’une situation riche. Elle soupira moins souvent, et comprit que cette vie morte qu’elle menait avait bien ses avantages. À défaut d’amusements et de fêtes, elle jouissait du moins d’une certaine liberté ; son père la laissait sortir avec sa bonne et elle courait les magasins, souriait volontiers aux compliments des calicots, aspirait après des intrigues, par désœuvrement. Sa grande préoccupation était d’être élégamment mise et elle ratissait