Page:Huysmans - En rade.djvu/122

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rait pas ! Puis une lueur de bon sens lui vint : que serait-elle donc devenue sans famille et sans dot ? Mais son sort était inespéré ; elle avait épousé un homme qui lui plaisait et qui, dans un siècle de lucre, la choisissait pauvre. Enfin, à part son désintéressement de la vie réelle, que pouvait-elle lui reprocher ? rien, pas même dans le carême charnel qu’il subissait, une brève frasque !

Elle eut regret de son injustice. Se soulevant un peu sur le lit, elle appela Jacques et l’embrassa, comme pour le dédommager de cette involontaire explosion d’égoïsme, comme pour se démentir elle-même la bassesse de ses réflexions.

Et cependant, malgré cette crise d’intérêt personnel qui les avait tout à coup si brutalement secoués, Jacques et Louise étaient de bonnes gens, heureux de vivre ensemble, inaptes aux sournoiseries des beaux-semblants, incapables de se tromper, prêts à se sacrifier, sans scrupules, l’un pour l’autre.

Pris en traître, saisis à l’improviste par une force indépendante de leur volonté, ils incarnaient bien le lamentable exemple de l’inconsciente ignominie des âmes propres. Ils étaient, en somme, les victimes de ces terribles pensées qui se faufilent chez les meilleurs, qui font qu’un fils adorant ses parents n’aspire certes pas à être privé d’eux,