Page:Huysmans - En rade.djvu/188

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ripostait par un coup de pistolet et manquait le polytechnicien qui, lui appuyant la pointe de son épée sur la poitrine, disait : « Votre vie est à moi, mais je ne veux pas verser votre sang, vous êtes libre. » Alors, transporté de reconnaissance, l’officier détachait sa croix et s’écriait, en la mettant sur l’estomac du héros : « Brave jeune homme, tu la mérites par ton courage et ta modération. » Et le brave jeune homme la refusait, parce qu’il ne s’en croyait pas encore digne.

Sur ce thème chevaleresque, l’artiste d’Épinal s’était ému. L’officier était immense, coiffé d’un schako en pot de chambre retourné d’enfant, vêtu d’un habit à queue de morue rouge et d’un pantalon blanc. Derrière lui, des soldats plus petits et costumés de même regardaient béants, de leurs yeux noyés de larmes, la belle conduite de ce polytechnicien, haut comme une botte, qui louchotait, l’air idiot, en face du grand officier de bois. Et derrière le héros, affublé d’un bicorne et habillé de bleu, la foule simulée par deux personnes, un bourgeois, coiffé d’un bolivar à poils, et un homme du peuple, surmonté d’une casquette en forme de tourte, s’entassait, brandissant un drapeau tricolore, au-dessus d’arbres peinturlurés à la purée de pois et collés sur un ciel d’un bleu gendarme, orné de nuages en vomis de vin.