Page:Huysmans - En rade.djvu/49

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semant le sol de milliers d’épingles brunes, tandis que de vieux sarments de vignes sautaient d’un bord de l’allée à l’autre dans le vide et, s’accrochant aux fûts des pins, grimpaient autour d’eux en serpentant jusqu’aux cimes et agitaient tout en haut, dans le ciel, de triomphales grappes de raisin vert.

Il regardait, étonné, ce chaos de plantes et d’arbres. Depuis combien de temps ce jardin était-il laissé à l’abandon ? Çà et là de grands chênes élancés de travers se croisaient et, morts de vieillesse, servaient d’appui aux parasites qui s’enroulaient entre eux, s’embranchaient en de fins réseaux serrés par des boucles, pendaient, tels que des filets aux mailles vertes, remplis d’une rustique pêche de frondaisons ; des cognassiers, des poiriers se feuillaient plus loin, mais leur sève affaiblie était inerte à procréer des fruits. Toutes les fleurs cultivées des parterres étaient mortes ; c’était un inextricable écheveau de racines et de lianes, une invasion de chiendent, un assaut de plantes potagères aux graines portées par le vent, de légumes incomestibles, aux pulpes laineuses, aux chairs déformées et suries par la solitude dans une terre en friche.

Et un silence qu’interrompaient parfois des cris d’oiseaux effarouchés, des sauts de lapins déran-