Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/322

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Et il eut un tel élan qu’il se projeta ; tout disparut autour de lui et il dit, en balbutiant, au Christ : « Seigneur, ne vous éloignez point. Que votre miséricorde réfrène votre équité ; soyez injuste, pardonnez-moi ; accueillez le mendiant de communion, le pauvre d’âme ! »

M. Bruno lui toucha le bras et l’invita, d’un coup d’œil, à l’accompagner. Ils marchèrent jusqu’à l’autel et s’agenouillèrent sur les dalles, puis quand le prêtre les eut bénis, ils s’agenouillèrent plus près, sur la seule marche, et le convers leur tendit une serviette, car il n’y avait ni barre, ni nappe.

Et l’abbé de la Trappe les communia.

Ils rejoignirent leur place. Durtal était dans un état de torpeur absolue ; le Sacrement lui avait, en quelque sorte, anesthésié l’esprit ; il gisait, à genoux, sur son banc, incapable même de démêler ce qui pouvait se mouvoir au fond de lui, inapte à se rallier et à se ressaisir.

Et il eut, tout à coup, l’impression qu’il étouffait, qu’il manquait d’air ; la messe était finie ; il s’élança dehors, courut à son allée ; là, il voulut s’expertiser et il trouva le vide.

Et devant l’étang en croix dans l’eau duquel se noyait le Christ, il éprouva une mélancolie infinie, une tristesse immense.

Ce fut une véritable syncope d’âme ; elle perdit connaissance ; et quand elle revint à elle, il s’étonna de n’avoir pas ressenti un transport inconnu de joie ; puis il s’attarda sur un souvenir gênant, sur tout le côté trop humain de la déglutition d’un Dieu ; il avait eu l’hostie, collée au palais, et il avait dû la chercher et la rouler, ainsi qu’une crêpe, avec la langue, pour l’avaler.