Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/347

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l’oblat. Il vit de la vie Unitive, l’âme ensevelie, noyée dans l’océan de la divine Essence. Sous cette grossière enveloppe, dans ce pauvre corps, réside une âme sans péchés ; aussi, est-il bien juste que Dieu le gâte ! Il lui a, ainsi que je vous l’ai dit, délégué tout pouvoir sur le Démon ; et, dans certains cas, il lui concède également la puissance de guérir, par l’imposition des mains, les maladies, il a renouvelé ici les guérisons miraculeuses des anciens Saints.

Ils se turent, puis prévenus par les cloches qui sonnaient les Vêpres, ils se dirigèrent vers l’église.

Et, revenant alors sur lui-même, tentant de se récupérer, Durtal demeura stupéfait. La vie monastique reculait le temps. Il était à la Trappe depuis combien de semaines et il y avait déjà combien de jours qu’il s’était approché des Sacrements ? cela se perdait dans le lointain : ah ! l’on vivait double, dans les cloîtres ! — Et, pourtant, il ne s’y ennuyait pas ; il s’était aisément plié au dur régime et, malgré la concision des repas, il n’avait aucune migraine, aucune défaillance ; il ne s’était même jamais si bien porté ! — mais ce qui persistait, c’était cette sensation d’étouffement, de soupirs contenus, cette ardente mélancolie des heures et, plus que tout, cette vague inquiétude d’entendre enfin en soi, d’y écouter les voix de cette Trinité, Dieu, le Démon et l’homme, réunie en sa propre personne.

Ce n’est pas la paix rêvée de l’âme — et c’est même pis qu’à Paris, se disait-il, en se rappelant l’épreuve démentielle du chapelet — et, cependant — expliquez cela, l’on est, quand même, heureux ici !