Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/379

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est une sinécure ; car sans même qu’elles s’en doutent, Satan les tient ; il n’a donc que faire de les tourmenter pour les retirer de la fiance de Dieu, puisque, sans même qu’il ait à se donner le moindre mal, toutes lui obéissent.

Aussi réserve-t-il ses légions pour assiéger les couvents où la résistance est acharnée. Au reste, vous venez de voir la façon dont il conduit l’attaque !

— Ah ! s’exclama Durtal, ce n’est pas lui qui vous fait le plus souffrir ! car ce qui est pis que le scrupule, pis que les tentations contre la pureté ou contre la Foi, c’est l’abandon supposé du ciel ; non, rien ne peut rendre cela !

— C’est ce que la théologie mystique nomme « la Nuit obscure », répondit M. Bruno.

Et Durtal s’écria :

— Ah ! j’y suis maintenant ; je me souviens… voilà donc pourquoi saint Jean de la Croix atteste qu’on ne peut dépeindre les douleurs de cette Nuit et pourquoi il n’exagère rien lorsqu’il affirme qu’on est alors plongé, tout vivant, dans les enfers.

Et moi qui doutais de la véracité de ses livres ; moi qui l’accusais d’outrance ! il atténuait plutôt. Seulement, il faut avoir ressenti cela, par soi-même, pour y croire !

— Et vous n’avez rien vu, repartit tranquillement l’oblat ; vous avez passé par la première partie de cette Nuit, par la Nuit des sens ; elle est terrible déjà, je le sais par expérience, mais elle n’est rien en comparaison de la Nuit de l’esprit qui parfois lui succède. Celle-là est l’exacte image des souffrances que Notre-Seigneur endura au jardin des Olives, alors que, suant le sang il cria, à bout de forces : Seigneur, détournez de moi ce calice !