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vantant la clémence d’une vie qu’elle savait ignoble.

Par tous ses livres inspirés, elle clamait l’horreur de la destinée, pleurait la tâche imposée de vivre. L’Ecclésiastique, l’Ecclésiaste, le livre de Job, les Lamentations de Jérémie attestaient cette douleur à chaque ligne et le Moyen Age avait, lui aussi, dans l’Imitation de Jésus-Christ, maudit l’existence et appelé à grands cris la mort.

Plus nettement que Schopenhauer, l’Église déclarait qu’il n’y avait rien à souhaiter ici-bas, rien à attendre ; mais là où s’arrêtaient les procès-verbaux du philosophe, elle, continuait, franchissait les limites des sens, divulguait le but, précisait les fins.

Puis, se disait-il, tout bien considéré, l’argument de Schopenhauer tant prôné contre le Créateur et tiré de la misère et de l’injustice du monde, n’est pas, quand on y réfléchit, irrésistible, car le monde n’est pas ce que Dieu l’a fait, mais bien ce que l’homme en a fait.

Avant d’accuser le ciel de nos maux, il conviendrait sans doute de rechercher par quelles phases consenties, par quelles chutes voulues, la créature a passé, avant que d’aboutir au sinistre gâchis qu’elle déplore. Il faudrait maudire les vices de ses ancêtres et ses propres passions qui engendrèrent la plupart des maladies dont on souffre ; il faudrait se dire que si Dieu nous infligea l’excrément, l’homme y a par ses excès ajouté le pus ; il faudrait vomir la civilisation qui a rendu l’existence intolérable aux âmes propres et non le Seigneur qui ne nous a peut-être pas créés, pour être pilés à coups de canons, en temps de guerre, pour être exploités, volés, dévalisés, en temps de paix, par les négriers du commerce et les brigands des banques.