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Page:Huysmans - Là-Bas, Tresse & Stock, 1895.djvu/134

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impuissant à me donner des consolations. Mais, dites, si las, si désabusés, si revenus de tout que nous soyons, laissons quelquefois nos âmes se parler bas, bien bas, comme je vous ai parlé, cette nuit, car ma pensée va désormais vous suivre obstinément… »

Et il y en a quatre pages de cet acabit, fit-il, en tournant les feuillets, mais celle-ci est mieux :

« Ce soir seulement, mon ami inconnu, un mot. J’ai passé une journée horrible, les nerfs en révolte, criant presque de souffrance et cela pour des riens qui se renouvellent cent fois par jour ; pour une porte qui claque, pour une voix rude ou mal timbrée qui, de la rue, monte chez moi ; à d’autres heures, mon insensibilité est telle que la maison brûlât-elle, je ne bougerais même pas. Vais-je vous envoyer cette page de lamentations comiques ? ah ! la douleur, quand on n’a pas le don de la pouvoir habiller superbement, de la transformer en pages littéraires ou musicales qui pleurent magnifiquement, le mieux serait de n’en pas parler.

« Je vais vous dire bonsoir tout bas, ayant comme au premier jour le troublant désir de vous connaître et me défendant de toucher à ce rêve, de peur de le voir s’évanouir. Ah oui, vous l’avez bien écrit l’autre fois, pauvres, pauvres nous ! — bien pauvres, en effet, bien misérables, ces âmes