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Page:Huysmans - Là-Bas, Tresse & Stock, 1895.djvu/223

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dans ce fauteuil. Je m’installe, moi, en face d’elle, sur cette petite chaise et, en m’avançant un peu, en touchant ses genoux, je puis lui ressaisir et lui enlacer les mains ; de là, à la faire se pencher vers moi qui me soulèverais, il n’y a qu’un pas. J’atteins alors ses lèvres et je suis sauvé !

Eh non, pas tant que cela ! car c’est alors que l’aria commence. Je ne puis songer à la conduire dans la chambre à coucher. Le déshabillage, le lit, ce n’est tolérable que lorsque l’on se connaît déjà. À ce point de vue, les entames d’amour sont hideuses et m’atterrent. Je ne les concevrais qu’avec un souper à deux, avec un tantinet de vin fou qui exalterait la femme ; je voudrais qu’elle fût prise dans un étourdissement, qu’elle ne se réveillât qu’étendue sous de subreptices baisers, dans l’ombre. À défaut de souper ce soir, il est nécessaire qu’elle et moi, nous nous évitions de mutuels embarras, que nous rehaussions la misère de cet acte par une allure de passion, par un tourbillon effaré d’âme ; il faut donc que je la possède, ici même, et qu’elle puisse s’imaginer que je perds la tête, alors qu’elle succombe.

Ce n’est pas commode à arranger dans cette pièce qui manque de canapé ou de divan. Pour bien faire, il convient que je la renverse sur le tapis ; elle aurait, ainsi que toutes les femmes, la ressource de se replier le bras sur les yeux,