Page:Huysmans - Là-Bas, Tresse & Stock, 1895.djvu/260

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elle lui prit la tête entre les mains, posa les lèvres sur sa bouche et l’ouvrit.

Il gémit furieusement.

Elle le regardait avec ses yeux indolents et enfumés et il voyait courir des étincelles d’argent à leur surface ; il la tint entre ses bras, pâmée, aux écoutes ; doucement, elle se dégagea en soupirant, tandis que, gêné, il allait s’asseoir un peu loin d’elle, en se crispant les mains.

Ils s’entretinrent de choses vaines ; elle, vantant sa bonne qui se jetterait au feu, sur son ordre ; lui répondant par des gestes d’approbation et de surprise.

Puis brusquement elle se passa les doigts sur le front.

— Ah ! dit-elle, je souffre cruellement quand je pense qu’il est là, qu’il travaille ! non j’aurais trop de remords ; c’est bête ce que je dis, mais s’il était un autre homme, un homme qui allât dans le monde et fît des conquêtes… ce ne serait pas la même chose.

Il l’écoutait, ennuyé par la médiocrité de ces plaintes ; à la fin, se sentant tout à fait apaisé, il se rapprocha d’elle et lui dit :

— Vous parliez de remords, mais que nous nous embarquions ou que nous persistions à demeurer sur la rive, est-ce que le péché n’est pas, à une nuance près, le même ?