Page:Huysmans - Là-Bas, Tresse & Stock, 1895.djvu/32

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Steen ne buvait point. Un autre a épucé Villon, s’est efforcé de démontrer que la grosse Margot de la ballade n’était pas une femme mais bien l’enseigne d’un cabaret ; pour un peu, il représentait le poète ainsi qu’un homme bégueule et continent, judicieux et probe. On eût dit qu’en écrivant leurs monographies, ces historiens appréhendaient de se déshonorer en touchant à des écrivains ou à des peintres dont la vie avait été cahotée par des bourrasques. Ils eussent sans doute désiré qu’ils fussent des bourgeois comme eux ; le tout équipé d’ailleurs à l’aide de ces fameuses pièces que l’on épluche, que l’on détorque, que l’on trie.

Cette école de la réhabilitation, toute puissante aujourd’hui, exaspérait Durtal ; aussi était-il bien certain de ne pas sombrer avec son livre sur Gilles de Rais dans la monomanie de ces affamés de la bienséance, de ces enragés de l’honnêteté. Pas plus qu’un autre, avec ses idées sur l’histoire, il ne pouvait prétendre à peindre un Barbe-Bleue exact, mais il était sûr au moins de ne pas l’édulcorer, de ne pas l’amollir dans des bains de langue tiède, de ne pas en faire ce médiocre dans le bien ou dans le mal qui plaît aux foules. Pour prendre son élan, il possédait, en guise de tremplin, une copie du mémoire au Roi des héritiers de Gilles de Rais, les notes qu’il avait prises sur le procès criminel de Nantes dont plusieurs expéditions sont à Paris, des