Page:Huysmans - La Cathédrale, 1915.djvu/16

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Durtal revivait maintenant tous ces détails, revoyait devant lui le Drac et La Salette, en fermant les yeux. Ah ! fit-il, on peut les vanter les pèlerins qui s’aventurent dans ces régions désolées et vont prier sur le lieu même de l’apparition, car, une fois arrivés, on les bloque sur un plateau pas plus grand que la place Saint-Sulpice et bordé, d’un côté, par une église de marbre brut, enduite avec les ciments couleur de moutarde du Valbonnais, de l’autre par un cimetière. En fait d’horizons, des cônes secs et cendrés, de même que des pierres ponces ou couverts d’herbes rases ; plus haut encore, les blocs vitrifiés des glaces, les neiges éternelles ; devant soi, pour marcher, du gazon épilé avec des nappes de teigne en sable ; il suffisait, pour résumer le paysage, d’une phrase : c’était la pelade de la nature, la lèpre des sites !

Et au point de vue de l’art, sur cette minuscule promenade, près de la source captée par des tuyaux à robinets, s’érigent à trois places différentes des statues de bronze. Une Vierge accoutrée de vêtements ridicules, coiffée d’une sorte de moule de pâtisserie, d’un bonnet de Mohicane, pleure, à genoux la tête entre ses mains. Puis la même femme, debout, les mains ecclésiastiquement ramenées dans ses manches, regarde les deux enfants auxquels elle s’adresse, Maximin frisé tel qu’un caniche et tournant entre ses doigts un chapeau en forme de tourte, Mélanie engoncée dans un bonnet à ruches et accompagnée d’un toutou de presse-papier, en bronze ; enfin la même personne encore, seule, se dressant sur la pointe des pieds, lève, en une allure de mélodrame, les yeux au ciel.