Page:Huysmans - La Cathédrale, 1915.djvu/48

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Puis l’âge était venu et elle avait, suivant son expression, « perdu de ses anciennes valeurs ». Le Ciel, qui lui fixait jadis, par des voix internes, l’époque de ces excursions, n’ordonnait plus maintenant ces déplacements. Il l’avait envoyée près de l’abbé Gévresin pour se reposer ; mais sa manière de vivre lui avait été indiquée une fois pour toutes ; en tant que coucher, une paillasse étendue sur des ais de bois ; en guise de nourriture un régime champêtre et monacal comme elle, du lait, du miel et du pain — et encore, par les temps de pénitence, devait-elle substituer de l’eau au lait.

— Et vous ne consommez jamais d’autres aliments ?

— Jamais.

Et elle reprenait :

— Ah ! notre ami, c’est que l’on me met en pénitence, Là-Haut, et gaiement elle se moquait d’elle-même et de son allure.

— Si vous m’aviez vue, lorsque je revenais d’Espagne où j’étais allé visiter Notre-Dame del Pilar, à Saragosse, j’étais une négresse ; avec mon grand crucifix sur la poitrine, ma robe qui ressemblait à celle d’une religieuse, on se disait de tous les côtés : Qu’est-ce que cette bigote-là ? — J’avais l’air d’une charbonnière endimanchée ; on n’apercevait que du blanc de bonnet, de manchettes et de col ; le reste, la figure, les mains, les jupes, tout était noir.

— Mais vous deviez vous ennuyer à voyager ainsi seule ?

— Que non, notre ami, les Saints ne me quittaient pas le long de la route ; ils me désignaient la maison où je recevais, pour la nuit, un gîte ; et j’étais sûre d’être bien accueillie.