Page:Huysmans - La Cathédrale, 1915.djvu/485

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donc incertains, exprès j’en suis sûr, afin que chacun puisse la contempler sous l’aspect qui lui plaît le mieux, l’incarner dans l’idéal qu’il rêve.

Tenez, saint Epiphane ; il nous la décrit grande, les yeux olivâtres, les sourcils arqués, très noirs, le nez aquilin, la bouche rose et la peau dorée, c’est une vision d’homme de l’Orient.

Prenez, d’autre part, Marie d’Agréda. Pour elle, la Vierge est élancée, a les cheveux et les sourcils noirs, les yeux tirant sur le vert obscur, le nez droit, les lèvres vermeilles, et le teint brun. Vous reconnaissez là l’idéal de grâce espagnole que concevait cette abbesse.

Consultez enfin la sœur Emmerich. Suivant elle, Marie est blonde, a de grands yeux, le nez assez long, le menton un peu pointu, le teint clair et sa taille n’est pas très élevée. Ici, nous avons affaire à une allemande que ne contente point la beauté brune.

Et l’une et l’autre de ces deux femmes sont des voyantes auquelles la Madone est apparue, empruntant justement la seule forme qui pouvait les séduire, de même qu’Elle se montra, sous un modèle de joliesse fade, le seul qu’elles pouvaient comprendre, à Mélanie de La Salette et à Bernadette de Lourdes.

Eh bien, moi, qui ne suis point un visionnaire et qui dois avoir recours à mon imagination pour me la figurer, il me semble que je l’aperçois dans les contours, dans l’expression même de la cathédrale ; les traits sont un peu brouillés dans le pâle éblouissement de la grande rose qui flamboie derrière sa tête, telle qu’un nimbe. Elle sourit et ses yeux, tout en lumière, ont l’incomparable éclat de ces clairs saphirs qui éclairent l’entrée de