Page:Huysmans - Les Sœurs Vatard, Charpentier, 1880.djvu/111

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embrassa ses filles. La femme Cabouat, sa sœur, se mourait à Amiens et il partait afin de recueillir son dernier soupir et ses derniers sous. Depuis quinze ans, il n’était pas sorti de son quartier et il se préparait à ce voyage comme à une traversée pleine d’accidents et de périls. Il rebaisa le front de ses enfants, embrassa les nattes pommadées de sa grosse Eulalie, et, voulant en finir avec les bécotages attendris du départ, il empoigna sa malle, la hissa sur ses épaules et s’en fut pour gagner le chemin de fer du Nord.

Quand il eut disparu au tournant de la rue, Désirée quitta la fenêtre et donna un coup de balai sur le plancher. — Céline, épaulée au mur, abandonna son air soucieux et, se débondant soudain, fit tourner sa langue comme la palette d’un moulin à eau. — Oui, elle allait lâcher Anatole ! — Le remplaçant était trouvé, un grand garçon, ni beau ni laid, barbachu et maigre ; c’était un homme distingué, vêtu d’habits neufs et soigneusement brossés, d’un tuyau de poêle noir et luisant, d’une bague sertie d’une turquoise, d’une montre à fermoir. — Il avait aussi des bottines en chevreau avec des boutons et il fumait des cigares qui pouvaient bien valoir deux sous la pièce.

Il fallait d’ailleurs se décider et en finir d’une manière ou d’une autre. Une fois qu’elle