Page:Huysmans - Les Sœurs Vatard, Charpentier, 1880.djvu/155

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sa sœur qu’à de rares intervalles, serait assez affamé pour subir toutes ses volontés et tous ses caprices. — Et puis conclut-elle, j’ai bien mis mon peintre au pas, j’y mettrai bien Auguste ; et elle s’endormit sans même s’être doutée qu’elle était dans l’erreur la plus complète.

D’abord, elle n’avait jamais mis Cyprien Tibaille au pas. Ce gaillard-là ne péchait point par timidité, comme elle le croyait. Quand il l’avait connue, il était malade et, dans leur intérêt à tous les deux, il attendait qu’il fût complètement remis pour commencer l’attaque.

C’était d’ailleurs un homme dépravé, amoureux de toutes les nuances du vice, pourvu qu’elles fussent compliquées et subtiles. Il avait, à la grâce de Dieu, aimé des cabotines et des graillons. Frêle et nerveux à l’excès, hanté par ces sourdes ardeurs qui montent des organes lassés, il était arrivé à ne plus rêver qu’à des voluptés assaisonnées de mines perverses et d’accoutrements baroques. Il ne comprenait, en fait d’art, que le moderne. Se souciant peu de la défroque des époques vieillies, il affirmait qu’un peintre ne devait rendre que ce qu’il pouvait fréquenter et voir ; or, comme il ne fréquentait et ne voyait guère que des filles, il ne tentait de peindre que des filles. Au fond même, il n’estimait vraiment que l’aristocratie et que la plèbe du vice ; en fait de prostitution, le bour-