Page:Huysmans - Les Sœurs Vatard, Charpentier, 1880.djvu/200

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milieu du chemin, à l’endroit où s’ouvre, vis-à-vis de la rue de l’Armorique, l’entrée des docks, ils passaient vite devant les trois lanternes qui éclairaient la caserne des douanes et ils se renfonçaient dans l’ombre. Ils s’arrêtaient presque toujours à mi-chemin et fouillaient d’un regard curieux au travers des palis d’une porte. Un champ immense s’étendait, arrêté au loin par la masse noire des maisons allumées d’un point rouge aux vitres. À perte de vue, des entassements de pavés s’élevaient, des pyramides grisâtres qui bleuissaient quand la lune, écornant leurs pointes, étalait la froide eau de ses lueurs sur l’ombre diminuée des rues. Au fond, dans un vague crépuscule, entre deux cônes gigantesques de pavés plus gros, des arbres bouffaient, subitement retroussés par un coup de vent ou voilés par les flocons tourbillonnants d’un tuyau d’usine. Près de Désirée, derrière la haie des planches, une charrette gisait, les quatre fers en l’air, un tombereau faisait étinceler les menottes de cuivre de ses bras, des scintillements s’accrochaient au fer d’une pelle, au croissant d’une pioche. — Un silence de mort planait sur la rue, réveillée soudain par la strideur d’un sifflet de machine, par le rire épanoui des gabelous au poste.

Ces amoncellements de pierres se dressant dans la nuit, donnaient la chair de poule à Dé-