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Page:Huysmans - Les Sœurs Vatard, Charpentier, 1880.djvu/28

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vous, mademoiselle Désirée, faut-il aussi vous en préparer un verre ?

La petite fit signe que oui. Elle était debout devant le poêle en fonte qui se dressait au milieu de la salle. Elle ne paraissait pas avoir conscience de ce qu’elle faisait, car ses doigts grattaient la tôle du couvercle et, mal affermie sur ses jambes, elle considérait, d’un air dolent, le bouton de cuivre du tuyau. La crémerie était vide. Il n’y avait que de vieux caracos et de vieilles pèlerines accrochés au mur et, sur une table au fond, une salière à deux branches et un moutardier dont le bonnet avait perdu sa pointe. À cette heure, la mère Antoine tournait et virait dans sa cuisine, essuyant avec des loques grasses le lait grésillant sur la fonte, soufflant de petites bulles qui crevaient et puaient. Toutes les dix minutes, elle rentrait dans la salle, torchant l’éternelle gouttière de son nez, versant aux deux hommes de nouvelles rasades, essuyant furtivement avec son doigt sans ongle les larmes poissées qui gluaient le col de ses bouteilles. Anatole et son ami Colombel avaient bu comme des sables en attendant les femmes. La partie de dominos prenait fin. — Colombel se leva, s’étira, fit manœuvrer les manches de veste de ses jambes, frotta ses pieds sur le carreau du parquet afin d’enlever la croûte de cigarettes et de boue qui les empurait, et,