Page:Huysmans - Les Sœurs Vatard, Charpentier, 1880.djvu/57

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reux à sa convenance, un beau jeune homme qui l’aimerait, un grand blond, si cela était possible, avec de longs cils et de fines moustaches. Parfois même, en travaillant, elle rêvait, l’œil perdu, à son futur, elle se figurait le voir et être mariée avec lui, depuis un mois ; le matin, elle se levait, après l’avoir gentiment embrassé sur les yeux, lui faisait son nœud de cravate, lui tirait sa blouse dans le dos pour l’empêcher de couvrir le col, et, elle-même, après avoir rangé son petit ménage et mis en une tasse, dans son panier, du ragoût de la veille qu’elle réchaufferait à l’atelier sur sa lampe à esprit de bois, partait à son tour, un peu en avance, afin de pouvoir baguenauder devant les merceries et se donner le bonheur d’envier une belle collerette de quinze sous qu’elle achèterait, le samedi suivant, quand elle aurait touché sa paie.

Au demeurant, elle était très grande dame, n’admettait le mariage qu’avec une aisance qui lui permettrait de dépenser au moins dix francs par mois pour sa toilette, et, tout en cousant les feuilles, elle additionnait des chiffres, supputant le salaire de son mari et le sien, souriant à l’idée que, dans la maison Débonnaire, les autres femmes crieraient, à la voir entrer avec un filet neuf et gansé de rouge : — Mâtin ! vous êtes chic, vous !