Aller au contenu

Page:Huysmans - Marthe, histoire d'une fille, 1876.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tous deux s’étaient attablés dans un cabaret des plus borgnes pour boire chopine ensemble. Je dois à la vérité de dire que Ginginet s’était teint, depuis l’après-midi, la gargamelle d’un rouge des plus vifs, il prétendait avoir dans la gorge des dunes qu’il arrosait à grandes vagues de vin ; bientôt il pencha, pencha la tête sur la table, trempa son nez dans le verre et, sans s’adresser à son compagnon qui dormassait plus ivre que lui peut-être, il éructa un monologue pointillé et haché par une série de soubresauts et de hoquets.

— Bête, la petite, très-bête, supérieurement bête, ah ! mais oui ! prendre un amant c’est bien s’il est riche ; mieux vaut sans cela garder le vieux museau de Ginginet — pas beau, c’est vrai — Ginginet — pas jeune — c’est encore vrai, mais artiste lui ! artiste ! et elle lui préfère un greluchon qui fait des vers ! un métier de crève-la-faim ! c’est clair, comme ma voix — pas ce soir par exemple — je suis rogomme comme tout — ça me rappelle tout ça la chanson que je chantais autrefois à Amboise quand j’étais premier ténor au grand théâtre, ma gloire passée, quoi ! la chanson « de ma femme et de mon parapluie ». Étaient-ils bêtes, au reste, ces