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Page:Huysmans - Marthe, histoire d'une fille, 1876.djvu/55

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assoupi, c’était une fantaisie monstrueuse, de poëte et d’artiste : une femme qui l’aimât, une femme vêtue de toilettes folles, placée dans de curieux arrêts de lumière, dans de singulières attitudes de couleurs, une femme invraisemblable, peinte par Rembrandt, son Dieu ! une femme insolemment fastueuse dont les yeux brasillassent avec cette indéfinissable expression, cette ardeur de vie presque mélancolique du chef-d’œuvre du Van Rhin, « la femme du salon carré au Louvre ! » Il la voulait ainsi, avec une peau couleur d’ambre, et même une pointe de rouge sur la pommette et de cendre bleue sous l’œil et il la désirait avec un esprit alambiqué et savant ; il la demandait excessive et troublante à des moments convenus, sage et dévouée pour l’ordinaire. Ce rêve impossible, cette appétence irréalisable, cette convoitise de sagesse et d’imprévu, à heure fixe, le torturaient. Marthe lui avait semblé, avec ses gaspillages de crinière, ses yeux de fêtes, sa bouche affamée, remplir l’idéal qu’il poursuivait vainement. Il l’avait admirée sur la scène, tour à tour provocante et naïve, il comptait autant sur la comédienne que sur la maîtresse pour jouer le rôle qu’il lui assignait dans leur tête-à-tête.