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D’IBN KHALDOUN.


opérations exige encore des instruments et des procédés d’art beaucoup plus nombreux que ceux qui, dans le premier cas, doivent être mis en usage. Or il est impossible qu’un seul individu puisse exécuter cela en totalité, ou même en partie. Il lui faut absolument les forces d’un grand nombre de ses semblables afin de se procurer la nourriture qui est nécessaire pour lui et pour eux, et cette aide mutuelle assure ainsi la subsistance d’un nombre d’individus beaucoup plus considérable. Il en est de même pour la défense de la vie: chaque homme a besoin d’être soutenu par des individus de son espèce. En effet, Dieu le très-haut, lorsqu’il organisa les animaux et leur distribua des forces, assigna à un grand nombre d’entre eux une part P. 70. supérieure à celle de l’homme. Le cheval, par exemple, est beaucoup plus fort que l’homme ; il en est de même de l’âne et du taureau. Quant au lion et à l’éléphant, leur force surpasse prodigieusement celle de l’homme. Comme il est dans la nature des animaux d’être toujours en guerre les uns avec les autres, Dieu a fourni à chacun un membre destiné spécialement à repousser ses ennemis. Quant à l’homme, il lui a donné, au lieu de cela, l’intelligence et la main. La main, soumise à l’intelligence, est toujours prête à travailler aux arts, et les arts fournissent à l’homme les instruments qui remplacent, pour lui, les membres départis aux autres animaux pour leur défense. Ainsi les lances suppléent aux cornes, destinées à frapper ; les épées remplacent les griffes, qui servent à faire des blessures ; les boucliers tiennent lieu de peaux dures et épaisses, sans parler d’autres objets dont on peut voir l’énumération dans le traité de Galien sur l’usage des membres[1]. Un homme isolé ne saurait résister à la force d’un seul animal, surtout de la classe des carnassiers, et il serait absolument incapable de le repousser. D’un autre côté, il n’a pas assez de moyens pour fabriquer les diverses armes offensives, tant elles sont nombreuses, et tant il faut d’art et d’ustensiles pour les confectionner Dans toutes ces circonstances, l’homme doit nécessairement recourir
  1. Le Περὶ χρείας τῶν ἐν ἀνθρώπου σώματι μορίων (Peri chreias tôn en anthrôpou sômati moriôn) fut traduit en arabe par Hobaïch et Honeîn, sous le règne du khalife abbacide El-Mamoun.