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PROLÉGOMÈNES

PREMIÈRE SECTION.
sur la civilisation en général. — plusieurs discours préliminaires.



PREMIER DISCOURS PRÉLIMINAIRE.


Ce discours préliminaire servira à démontrer que la réunion des hommes en société est une chose nécessaire. C’est ce que les philosophes ont exprimé par cette maxime : « L’homme, de sa nature, est citadin. » Ils veulent dire, par ces mots, que l’homme ne saurait se passer de société, P. 69. terme que, dans leur langage, ils remplacent par celui de cité. Le mot civilisation[1] exprime la même idée. Voici la preuve de leur maxime : Dieu le tout-puissant a créé l’homme et lui a donné une forme qui ne peut exister sans nourriture. Il a voulu que l’homme fût conduit à chercher cette nourriture par une impulsion innée et par le pouvoir qu’il lui a donné de se la procurer. Mais la force d’un individu isolé serait insuffisante pour obtenir la quantité d’aliments dont il a besoin, et ne saurait lui procurer ce qu’il faut pour soutenir sa vie. Admettons, par la supposition la plus modérée, que l’homme obtienne assez de blé pour se nourrir pendant un jour; il ne pourrait s’en servir qu’à la suite de plusieurs manipulations, le grain devant subir la mouture, le pétrissage et la cuisson. Chacune de ces opérations exige des ustensiles, des instruments, qui ne sauraient être confectionnés sans le concours de divers arts, tels que ceux du forgeron, du menuisier et du potier. Supposons même que l’homme mange le grain en nature, sans lui faire subir aucune préparation; eh bien! pour s’en procurer il doit se livrer à des travaux encore plus nombreux, tels que l’ensemencement, la moisson et le foulage, qui fait sortir le blé de l’épi qui le renferme. Chacune de ces

  1. En arabe, ومــران, omran. Ce mot signifie « un lieu habité, la culture, la population d’un pays, sa prospérité, la civilisation, » en un mot ce qui garnit, ومّــر, un pays.