Page:Ibn Khaldoun - Prolégomènes, Slane, 1863, tome I.djvu/89

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D'IBiN KHALDOUN. . lxxxi

mais Dieu leur en fera rendre compte, et c'est de lui qu'ils auront leur rétribution. Dès ce moment les hommes du gouvernement ne me montrèrent plus la même bienveillance qu'auparavant.

A cette même époque, un coup funeste vint me frapper : toute ma famille s'était embarquée dans un port du Maghreb pour me re- joindre; mais le vaisseau sombra dans un ouragan et tout le monde périt. Ainsi un seul coup m'enleva à jamais richesses, bonheur et en- fants. Accablé de mon malheur, je cherchai des consolations dans la prière, et je pensai à me démettre de ma charge; mais, craignant de mécontenter le sultan, j'écoutai les conseils do la prudence et je la gardai. Bientôt la faveur divine vint me tirer de cet état pénible : le sultan, puisse Dieu le protéger! mit le comble à ses bontés en me permettant de déposer un fardeau que je ne pouvais plus porter et à quitter une place dont, à ce qu'on prétendait, je ne connaissais pas les usages. Aussi je remis l'office de cadi à celui qui l'avait exercé avant moi, et de cette manière je me vis débarrassé de mes chaînes. Rentré dans la vie privée, je me retrouvai entouré de la considéra- tion générale; on me plaignait, on me louait, on faisait des vœux pour mon bonheur; tous les yeux m'exprimaient la sympathie, et tous les souhaits appelaient le moment où je serais réintégré dans ma place. Le prince, toujours bienveillant, me laissa jouir des avan- tages qu'il m'avait déjà faits, et me continua sa haute protection; mais moi, bornant mes désirs à la félicité de la vie future, je m'oc- cupai à enseigner, à lire le Coran, à compiler et à rédiger, espérant que Dieu me permettrait de passer le reste de mes jours dans les exercices de la dévotion , et qu'il ferait disparaître tout ce qui pour- rait s'opposer à mon bonheur dans l'autre vie.

Je pars pour le pèlerinage.

Trois années venaient de s'écouler depuis ma destitution quand je me décidai à faire le pèlerinage. Ayant pris congé du sultan et des émirs, qui du reste pourvurent plus qu'abondamment à tous mes be- soins, je quittai le Caire vers le milieu de ramadan 789 (octobre

Prolégomènes. k

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