Page:Ibn Khaldoun - Prolégomènes, Slane, 1863, tome II.djvu/253

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Les édifices d’une grandeur colossale ne peuvent pas devoir leur entière construction à un seul souverain.

Pour bâtir, il faut que les hommes se prêtent un secours mutuel et emploient des moyens pour doubler leurs forces naturelles, ainsi que nous venons de le dire. Mais quelquefois les édifices (dont on commence la construction) sont si grands que leur exécution est au-dessus des forces humaines employées, soit simplement, soit doublées par le secours de la mécanique. Il faut que des forces pareilles aux premières se succèdent pendant une suite de temps assez longue pour que la construction de semblables ouvrages soit complètement terminée. Un premier souverain commence l’entreprise, un second lui succède et ensuite un troisième : chacun d’eux use de toutes ses ressources pour rassembler des ouvriers, et réunir le plus grand nombre de bras possible, jusqu’à ce qu’enfin le projet conçu primitivement se réalise et. que l’édifice se dresse devant les yeux de tous. Ceux qui, ensuite, dans des temps éloignés, voient ce monument, s’imaginent que c’est l’ouvrage d’un seul règne. P. 208

Considérez, par exemple, ce que les historiens racontent relativement à la construction de la digue de Mareb^. On nous dit que celui qui la bâtit fut Saba, fils de Yachdjob; qu’il y conduisit soixante et dix rivières, et que la mort l’empêcha de terminer ce grand réservoir, qui fut achevé par les rois himyérites, ses successeurs. On nous fait de pareils récits au sujet de la construction de Carthage, de son aqueduc et des arches qui le soutiennent, et que l’on attribue à Ad; et il en est de même de la plupart des grands monuments (qui subsistent encore de nos jours). Nous avons d’ailleurs la démonstration de cette vérité dans les grands édifices qui s’élèvent sous nos yeux : un roi en trace le plan et en jette les premiers fondements; mais si, après lui, d’autres rois n’en continuent pas l’exécution, ces constructions restent inachevées et le projet formé ne s’accompfit pas.

Littéral. « à un seul empire. »

Pour l’histoire de la digue de Mareb, on peut consulter le premier volume de l’Essai, etc. de M. Coussin de Perceval.