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donner à son discours ce caractère qui leur est propre, et la compo- sition des phrases lui devient si facile, qu'il ne s'écarte presque jamais des lois suivies par ce peuple dans l'expression de ses pensées. Aussi, qu'il entende une phrase qui ne soit pas conforme à ces lois, son oreille en est choquée et la rejette, pour peu qu'il y réfléchisse, et même sans aucune réflexion de sa part, et cela par un instinct qu'il doit à celle faculté acquise. En effet, les facultés d'acquisition, quand elles ont pris une certaine solidité et qu'elles sont parvenues à jeter des racines quelque part, semblent être une nature primitive, inhé- rente au sujet chez qui on les rencontre. C'est pour cela que bien des gens superficiels, ne se doutant pas du véritable caractère des fa- cultés acquises, s'imaginent que la correction avec laquelle les (an- ciens) Arabes s'exprimaient dans leur langue, tant en ce qui regarde les désinences grammaticales que renonciation de la pensée, était une chose purement naturelle. « Les Arabes, disent-ils, parlaient par un instinct naturel. » Rien n'est plus faux : il s'agit là d'une faculté que la langue a acquise et qui lui permet de disposer le discours (de la meilleure manière); faculté qui s'élail consolidée et avait pris racine en eux, quoiqu'elle paraisse au premier abord avoir été un don de la nature et être née avec les individus. Elle ne peut s'acquérir qu'en se familiarisant avec les discours des Arabes; il faut que l'oreille soit souvent frappée de la répétition des mêmes choses et qu'on joigne à cela l'observation de ce que la phraséologie a de (propre et de) spé- cial. Cette faculté ne s'acquiert pas par la connaissance des règles théo- riques que les rhétoriciens ont inventées; ces règles enseignent la P.3i4. théorie de la langue arabe, mais elles ne procurent pas à ceux qui les possèdent la faculté eflective (et pratique). Ceci une fois bien établi, disons que, lorsque l'organe de la langue a acquis la faculté d'exprimer les idées d'une manière correcte et précise, cette faculté même conduit celui qui la possède aux diverses manières d'ordonner les phrases, et à des modes de construction qui sont non-seuleuient bons, mais conformes à ceux qu'observaient les Arabes dans l'usage de leur langue et dans l'ordonnance de leurs discours. Si l'homme

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