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PEER GYNT

sortir d’ici et à retrouver mon chemin. Ceci n’est qu’une épreuve. Après elle, viendra le salut, si seulement le Seigneur me donne des forces. (Il tâche d’éloigner ses pensées, allume un cigare, s’étend par terre et contemple le désert.) Quelle solitude immense, illimitée ! Une autruche que j’aperçois là-bas, et c’est tout. Quel dessein Dieu pouvait-il bien avoir en créant cet espace vide et inanimé ? Cette étendue sans bornes ou pas une source de vie ne jaillit, où tout est brûlé, aride, inutile, ce morceau de globe à jamais inculte, — ce cadavre qui, depuis que le monde est né, n’a rien rapporté au Créateur, pas même un simple merci. Pourquoi tout cela ? La nature n’est que gaspillage. Là-bas, à l’est, cette surface étincelante, est-ce la mer ? Impossible ! C’est un mirage. La mer est à l’ouest. Elle déferle contre une digue de collines qui la sépare du désert. (Frappé d’une idée.) Une digue ? Mais alors je pourrais… ? La chaîne est étroite. Une digue ! Il suffirait de la rompre en creusant un canal pour qu’un flot de vie vint inonder le désert ! Et bientôt tout ce bassin incandescent ne sera plus qu’une vaste mer d’où émergeront les oasis transformés en îles fécondes. Au nord, l’Atlas verdoyant s’élèvera en falaise et, vers le sud, là où passent aujourd’hui les caravanes, des embarcations aux voiles éployées traceront leurs sillons. Une brise vivifiante chassera les miasmes torrides, une