Page:Ibsen - Un ennemi du peuple, trad. Prozor, 1905.djvu/21

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nuits et jours sans soleil, conditions tristes, déprimantes, énervantes, démoralisantes.

Contre tout cela, l’homme se dresse ; l’individu, fort de son impulsion première, réagit contre les forces mauvaises ; la volonté, plus puissante que le temps et que les éléments, et sur qui la destruction n’a pas prise, lui échappe, dans le pire des cas, en se détruisant elle-même. J’ai médit jadis de Hedda Gabier et je m’en repens. Plus tard, à la scène (c’est la seule façon de bien comprendre Ibsen), j’ai reconnu ce qu’il y avait en elle. Elle est la force et la beauté originelles, attaquées, jusque dans leurs racines au fond de l’âme de Hedda, par les laideurs, les bassesses et les impuissances du monde où elle vit. Ne pouvant construire, elle détruit par un acte suprême de volonté individuelle et rebelle. Protestation et affirmation exaspérées, qu’il ne faut pas prendre cependant pour un cri de désespérance du poète, mais pour un cri d’avertissement.

Car Ibsen n’est pas un pessimiste. Ou plutôt il ne l’est que par rapport au monde tel qu’il est, à la société telle qu’elle est. Pour celle-ci, il n’y a pas, à ses yeux, de salut. Et il n’en faut pas : sauver la société telle qu’elle est, on ne pourrait le faire qu’en aggravant ses vices, car c’est par eux qu’elle existe. Le maire, dans Brand, le prouve bien. Pour sauver son troupeau, qui allait se perdre en suivant l’apôtre intransigeant, il ne trouve qu’un moyen : c’est de réveiller l’égoïsme et la cupidité de ce troupeau. Le maire dans l’Ennemi du Peuple en fait autant, comme nous verrons. Ces deux conducteurs du peuple tel