Page:Ibsen - Un ennemi du peuple, trad. Prozor, 1905.djvu/22

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qu’il est le conduisent par les chemins qui lui conviennent. Les deux hommes qui leur sont opposés, Brand et le Dr Stockman, le prophète religieux et le prophète indépendant, l’entraînent dans des voies où il risque de se perdre, où il se perdra certainement, à moins qu’il ne se transforme jusqu’à la racine de ses impulsions et de ses conceptions acquises, et qu’un mouvement subit de son être intime, originel et divin ne le fasse remonter d’un trait jusqu’à ses impulsions et à ses conceptions libres, antérieures aux compromis et aux réductions qu’exige de nous le pacte social. Ce mouvement libérateur c’est le prodige suprême dont Nora, rompant avec la vie de famille telle qu’elle est, parle à son mari. Et, tressaillant tout à coup, cet homme entend résonner obscurément au fond de sa propre âme, toute pleine cependant de principes mondains, l’écho de cette parole, de cette promesse mystérieuse : « le plus grand des prodiges ». Qui sait si ce prodige ne s’opérera pas, puisque l’âme même d’un Htelmer récèle secrètement l’élément de vie véritable, le germe étouffé mais indestructible qui seul nous donne droit au nom d’homme ? Qui sait si nous ne finirons pas par redevenir nous-mêmes, véritablement nous-mêmes, nous-mêmes « tels que nous sommes sortis des mains du Créateur », comme dit Peer Gynt au moment où Solveig va prononcer la parole de salut ? Le prodige suprême, l’émancipation de l’homme par la femme et de la femme par l’homme, qui est le vrai mariage d’où pourraient naître la famille, la société, le peuple tels qu’ils doivent être, ce prodige dont l’idée exalte Rubek et Irène dans l’admirable Epilogue que le