Page:Ibsen - Un ennemi du peuple, trad. Prozor, 1905.djvu/27

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invariable : il s’est tu. Mais ce qui me semble parler pour lui ce sont les habitudes de toute sa vie, le caractère général de son œuvre entier et puis encore les dissemblances radicales et même l’absolu contraste qui existent entre le caractère d’Ibsen et celui de son héros.

— Vous voici bien seul, cher docteur, après le départ des personnages qui vous entouraient depuis un an. À moins que d’autres ne viennent déjà les remplacer ?

— Eh oui ! Cela commence à se dessiner. Vous savez : il y a entre mes pièces une trame intime. Elles naissent l’une de l’autre et ceux-là se trompent beaucoup qui leur cherchent des interprétations étrangères à l’œuvre total. Pour bien le comprendre, il faut en lire les parties dans leur ordre chronologique. Il y a là un enchaînement qu’on saisira sans peine.

Ce colloque se répétait, sous une forme ou sous une autre, quelques mois après l’apparition de chacune des dernières pièces d’Ibsen, au moment où nous nous attablions, lui, ma femme et moi, sur la terrasse du Grand Hôtel de Christiania. La publication de Solness, d’Eyolf, de Borkmann, n’avait pas arrêté dans l’esprit du poète le travail de dramatisation inhérent à sa nature. La fonction de son esprit est de créer, de transformer sa pensée en matière d’art et de la revêtir d’une vie empruntée au monde extérieur. Or, si le monde extérieur est multiple, cette pensée est une et continue. Libérée, après la naissance de l’œuvre nouvelle, elle se retrempe en elle-même pour reprendre sa trame. Et aussitôt le génie artistique recommence