Page:Ibsen - Un ennemi du peuple, trad. Prozor, 1905.djvu/28

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également ses opérations initiales, concomitantes avec le travail de la pensée. Il contemple, observe, assimile, vivifie. Plus tard, il donnera à la matière qui s’anime la forme et le mouvement, il la soumettra aux grandes lois qui gouvernent la production d’art, il l’armera de la force nécessaire pour communiquer au dehors l’impression ressentie et l’impulsion produite par elle, il fera agir par le livre et par la scène la vis tragica dont il possède le formidable secret, et à laquelle la vis comica, dont il dispose presque au même degré, est toujours subordonnée. En un mot, ce génie est absorbé par son fonctionnement intime et la pensée qui l’emploie ne garde sa vertu inspiratrice qu’à la condition de ne pas se laisser distraire par des préoccupations étrangères à son propre cours. Telle est la vie intérieure de Henrik Ibsen. Telle est la condition même de sa puissance. Être descendu de là à une lutte contre tout ce qu’il dédaigne, à une polémique par voie de scène, eût été la chose du monde la plus contraire à sa nature qui se puisse imaginer. Je ne crains pas de dire que jamais, s’il avait dérogé de la sorte aux principes qui l’ont toujours guidé, Ibsen n’aurait produit une œuvre aussi forte au point de vue des idées et aussi parfaite au point de vue de Fart que l’est l’Ennemi du Peuple. D’ailleurs, se remettant à l’œuvre, comme nous venons de le voir, aussitôt un drame achevé, il ne pouvait, au moment de la conception, être influencé par des faits qui ne s’étaient pas encore produits. Enfin, si un mouvement irrésistible l’avait entraîné tout à coup, contrairement à son invariable coutume,