Page:Ibsen - Un ennemi du peuple, trad. Prozor, 1905.djvu/29

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à une polémique dramatisée, il n’aurait pu s’empêcher de répandre sur son porte-parole un reflet de sa propre personnalité. Jetons un coup d’œil sur la pièce pour voir ce qu’il en est.

Thomas Stockman est, à l’inverse d’Ibsen, un homme essentiellement accueillant et tout en dehors. Maison, table et bourse, main, cœur et esprit, tout est chez lui large ouvert. On entre dans son intimité comme dans un moulin, à la seule condition de faire d’énergiques professions de foi de libéralisme et de générosité. Il s’en laisse imposer par tous les charlatans du métier. Voici Hovstad, rédacteur du Messager du peuple, maraud verni de rhétorique, paysan cupide et retors paré de belles attitudes, âme servile et vénale sous des dehors de frondeur et de justicier, bas intrigant sous un aspect d’intransigeance rigide. Enfin, le type achevé du faiseur politique qui, parti de très bas, a appris à manier l’arme commode d’une opposition avisée pour conquérir les situations et les postes. Encore les prend-il moins souvent en délogeant l’ennemi qu’en lui rendant les armes, en échange d’avantages stipulés, pour pénétrer dans la place et la défendre à ses côtés contre de nouveaux assaillants. Armé de son instinct, stimulé par ses appétits, il sait faire valoir tantôt ses origines plébéiennes, tantôt sa distinction d’emprunt et ne se démonte que devant l’âme droite d’une jeune fille, Pétra Stockman, dont la noblesse ingénue déconcerte son jeu et déroute ses feintes. Et voici Billing, son collaborateur, un maroufle cynique et effronté, celui-là, jurant et goinfrant, étalant sa grossièreté native avec une en-