Page:Ibsen - Une maison de poupée, trad. Albert Savine, 1906.djvu/104

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Rank.

Et de qui donc peut-il s’agir ? À quoi bon me tromper moi-même ? Je suis le plus misérable de mes malades… Ces jours-ci j’ai fait un examen général de mon état. C’est la banqueroute. Avant un mois sans doute je pourrirai dans le cimetière.

Nora.

Taisez-vous ? Quelle affreuse façon de parler.

Rank.

C’est la chose même qui est laide. Le pire, cependant ce sont les horreurs qui doivent précéder. Il ne me reste plus à procéder qu’à un seul examen ; quand je l’aurai fait, je saurai à peu de chose près pour quand sera le dénouement. Je désire vous dire une chose. Helmer, avec son tempérament délicat, a une aversion profonde pour tout ce qui est laid, je ne veux pas le voir à mon chevet.

Nora.

Mais docteur…

Rank.

Je ne le veux sous aucun prétexte. Je lui fermerai ma porte. Sitôt que j’aurai la certitude de la catastrophe, je vous enverrai une carte de visite marquée d’une croix noire. Vous saurez alors que l’abomination de la désolation est commencée.

Nora.

Non, aujourd’hui vous êtes trop extravagant, et moi qui désirais tant que vous fussiez de bonne humeur.

Rank.

Avec la mort devant les yeux, et en payant pour un autre… Est-ce là de la justice ? Et dire que dans chaque famille il existe d’une façon ou d’une autre une liquidation de ce genre…