Page:Ibsen - Une maison de poupée, trad. Albert Savine, 1906.djvu/155

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
146
UNE MAISON DE POUPÉE

encore pire une criminelle ! Quel abîme de laideur, quelle horreur !

Nora muette le suit d’un regard fixe.
Helmer, s’arrêtant devant elle.

J’aurais dû pressentir qu’il arriverait quelque chose de ce genre. J’aurais dû le prévoir avec la légèreté de principes de ton père… Et tu as hérité de ces principes… pas de religion, pas de morale, pas de sentiment du devoir… Oh ! je suis bien puni d’avoir jeté un voile sur ta conduite. Je l’ai fait pour toi et voilà comment tu me récompenses.

Nora.

Oui, voilà.

Helmer.

Tu viens de détruire mon bonheur, de briser tout mon avenir. Je n’y puis penser sans frémir. Me voici dans les mains d’un homme sans scrupules, il peut faire de moi ce qui lui plaît, me demander ce qu’il veut, commander, ordonner à sa guise, sans que j’ose même souffler mot. Ainsi je puis me voir réduit à l’impuissance, coulé à pic par la légèreté d’une femme.

Nora.

Quand je ne serai plus de ce monde, tu seras libre.

Helmer.

Ah ! Laisse-là les mots creux. Ton père en avait aussi toute une provision. À quoi m’avancerait que tu abandonnes ce monde, comme tu dis ? À rien. Malgré cela la chose pourrait transpirer, et peut-être serais-je soupçonné d’avoir été ton complice, le complice de ton acte criminel ! On pourrait croire que j’ai été son instigateur, celui qui t’a poussée à le commettre. Et c’est à toi que je dois cela, à toi que j’ai portée dans mes bras à travers toute notre vie conjugale. Comprends-tu maintenant ce que tu as fait ?