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Page:Icy - Brassée de faits, 1926.djvu/169

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LA COUSINE JANE

elle y gagnait douze mille francs par an. Bientôt, c’en devait être quinze mille. À cette époque, c’était magnifique pour une femme. En 1908, cela valait quatre ou cinq fois plus qu’à présent.

Elle venait d’abord de temps en temps chez nous ; mais voilà qu’elle y vint bien plus souvent ; pour commencer, à peu près une fois par semaine, elle dînait à la maison. Elle apportait toujours quelque chose. Selon la saison, c’était un melon, des fruits épatants ou une bouteille de vin fin, un pâté. Nous allions, à notre tour, dîner chez elle. Quelquefois, mais rarement. Très bien installée, rue Sainte-Anne, au troisième, un petit appartement, bien meublé, un petit nid coquet au possible. Une femme de ménage lui suffisait, car elle prenait un de ses repas, le déjeuner, dans sa maison de fleurs et plumes, et ne faisait que dîner chez elle. Quand elle y dînait ? pas souvent, car, d’ordinaire, c’était au restaurant.

Une belle femme, de trente-quatre ans, à l’époque où j’en avais douze. Grande, brune, assez forte, bien bâtie. Elle respirait la santé et l’on sentait, tout de suite, son habitude de commander, rien qu’à son ton autoritaire, à ses manières. Elle parlait avec assurance et en élevant la voix, habitude prise à l’atelier. Intelligente et décidée, ses façons en imposaient et moi, étant gosse, j’en avais peur terriblement.

Elle causait de tout, en personne fréquentant les théâtres et elle tranchait de tout avec nous, sans doute comme avec les placiers qui souvent l’invitaient à dîner. Maman et même papa étaient bien loin d’avoir son