Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/294

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disent, et il est vrai que j’ai toujours rempli mes devoirs publics avec une exactitude de conscience rare et, peut-être, unique. Il n’y a que pour moi que je suis dur, insensible et indifférent.

Mais pourquoi cela ? Je vais essayer de te l’expliquer, si cela m’est possible. C’est que je suis on ne peut mieux organisé, pour arriver à tout ce qui est élevé et dans la justice des choses. J’ai trouvé tout le contraire dans ceux qui auraient dû me rendre justice. On a beau me dire que, si cela est ainsi, c’est que les hommes ont leurs passions et que j’ai les miennes, bien entendu. Mais ma raison, ma justice, mon esprit, mon cœur, mon orgueil, tout s’est révolté et je ressens comme à dix-huit ans une irritation et une opposition intraitables, exclusives. Avec ces sentiments toujours si fortement exprimés en art et en toutes choses, qui sont mes fidèles doctrines, ma profonde conviction, dont la devise est sur mon drapeau : Anciens et Raphaël ! je tombe de lassitude, n’en pouvant plus, découragé et disant à mon pinceau : « Qu’est-ce que cela prouve ? À quoi cela sert-il ? » Je dis cela et la ligue de diable descend et nous mènera, j’en suis trop sûr, à la plus complète barbarie. Tout ce qui est beau et bon est calomnié ; chaque jour annonce des barbares et de nouvelles ignorances.

Je ne sais, cher ami, si ces lignes ne te paraîtront pas trop folles, ou bien te feront mal pour ton ami ; mais je crois impossible que tu ne m’y reconnaisses et que ton bon esprit et ta justice