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Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/533

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qui leur était réservée, entre, regarde et, sans une minute d’hésitation, ordonne aux commissaires d’enlever ces dessins. Et comme ces messieurs étonnés regardaient Ingres, sans le comprendre :

— Voyez-vous, se contenta-t-il de répondre, ceci tuerait cela.

Les dessins d’Ingres turent enlevés de là et ses peintures s’en portèrent pas moins mal.

Salle V

M. Cottet, si pieux en son art semi-crépusculaire des Pietà tristes comme les mers lointaines d’où tant de cœurs promis ne sont pas revenus à l’endeuillée, la vraie Madone de ces loyers déserts ; M. Cottet se moderniserait-il en grandissant ou voudrait-il se diminuer en préférant Rops à Crivelli et les fleurs du mal aux fruits de la croix ? Qu’il y prenne garde : ses Études d’aujourd’hui ressemblent à des tubéreuses dont les trompeuses corolles suintent le poison. Rien de plus triste que des lys flétris. Un automne qui se fane en beauté, laissant tomber mélancoliquement feuille à feuille la gloire d’un front intact que ne découronna aucune main sacrilège, est aussi beau que le printemps où tout commence pour finir. La mort n’est-elle pas aussi naturelle que la vie, pour les corps las du poids du jour ? et les teintes sombres du crépuscule ne valent-elles pas les éclatantes couleurs de l’aube pour un œil fait aux harmonies correspondantes du matin plein de promesses et du soir plein de réalités ? Et peut-être, en cette vie décevante, les poètes de la douleur sont-ils plus vrais que les chansonniers de la joie. Mais c’est aussi que ce don des larmes est le don de Dieu, — ces vrais diamants à travers lesquels certains yeux savent entrevoir les petitesses de ce monde et les grandir jusqu’à l’infini de l’au-delà. Que M. Cottet soit heureux de son don et qu’il évite aux maladifs « enfants du siècle » cette étroitesse d’alcôve mondaine et sans honneur où sa Femme à sa toilette est trop puissante des reins et des mamelles pour y poser la Muse verte des « Fleurs du Mal ». Les grandes tristesses des grandes mers lointaines sont mieux faites pour cette poitrine vouée aux souffles de ce qu’il y a ici-bas de plus immense et de plus vrai et que les rares amants de cette autre Muse inspiratrice appellent la douleur. Que M. Cottet revienne à la sienne et qu’il lui reste fidèle.