Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/535

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d’une jeunesse sacrifiée au caprice de cette vieillesse au pouvoir, dont les 1.000 œuvres reçues d’avance, comme de purs chefs-d’œuvre, ne sauraient trouver dans ce Salon — leur palais ou leur boutique — de places et de cimaises assez vastes Les grands sacrifices des esclaves antiques ne prouvaient, après tout, que la grandeur des maîtres à la mort desquels tant de vies étaient immolées. Sans doute, ces exécutions sommaires ne sont que justice faite par ces maîtres du jour qui, malgré ce régime de la plus intolérable tyrannie, ne professent pas moins un culte public à cette soi-disant République des Arts. Sous le bûcher de ces archontes du jour, écoutons cependant à la porte, en attendant qu’elle s’ouvre, ces paroles de souveraine justice qu’a prononcées un maître à qui la hache de l’exécuteur allait aussi bien que le pinceau de l’exécutant, pour les effets d’œuvres d’art et de justice humaine qu’Ingres sut produire avec la même maîtrise.

Voici ce qu’à écrit ce maître français :

« Je vais toucher, je le sens bien, une corde délicate. Je sais d’avance tout ce qu’on peut m’objecter en faveur de ces expositions au Salon, tout ce qu’on peut dire sur l’importance qu’ont, sur l’existence ou la réputation des artistes, ces fêtes solennelles, depuis si longtemps adoptées, protégées par le Gouvernement : mais, quant à moi, je déclare le Salon une chose impossible, inutile aujourd’hui à tous les points de vue, et, de plus, j’y vois un usage dangereux, un moyen de corrompre et de détruire l’art comme je l’entends ; car le Salon, tel que nos mœurs l’ont fait, tue l’art pour ne vivifier que le métier.

 » Et, d’abord, faudra-t-il tout recevoir, (excepté cependant les objets contraires aux mœurs), par la raison qu’on n’a pas le droit de refuser l’œuvre d’un citoyen français, souvent père de famille, vivant de son état et à qui ce refus ferait tort auprès de sa clientèle ? Au point où en sont venues les choses et à supposer que le Salon doive être maintenu, je serais presque tenté d’avoir cette opinion. Faudra-t-il, au contraire, n’admettre que certains travaux triés par un jury ? Mais trouvez donc maintenant un jury en communauté suffisante d’idées et de principes pour savoir exactement à quel choix s’arrêter, pour ne pas être tiraillé en tous sens par la difficulté de l’entente, par la crainte de la lutte ou par l’exemple de l’extrême indulgence !