Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vant le plus ou moins d’imagination et de confiance de la part du lecteur. IL termine son poëme en insinuant que la promesse apportée par la vision et par la fleur est remplie, et que, rendu à la liberté, il a trouvé le bonheur dans la possession de la souveraine de ses pensées.

Tel est le récit poétique que Jacques nous a laissé de ses aventures amoureuses au château de Windsor. Combien y est-il entré de faits vrais, combien d’ornements dus à l’imagination, c’est ce qu’il est inutile de conjecturer. Cependant ne considérons pas toujours ce qui est romanesque comme incompatible avec la vie réelle ; croyons quelquefois un poëte sur parole. Je me suis contenté de noter telles parties du poëme qui se liaient immédiatement à la tour, et j’ai sauté de nombreux passages écrits dans la manière allégorique, si goûtée à cette époque. Le langage, sans doute, en est bizarre et suranné, de sorte que les beautés de plus d’une de ses phrases ciselées seront à peine remarquées de nos jours ; mais il est impossible de ne pas être charmé par la naïveté des sentiments, l’ingénuité ravissante et l’urbanité qui y dominent. Et puis les descriptions de la nature dont il est embelli sont faites avec un goût, une fraîcheur, une vérité dignes des périodes les plus cultivées de l’art.

Comme poëme érotique, il est édifiant, à cette époque de rudesse intellectuelle, de noter le naturel, le bon ton et l’exquise délicatesse qui percent de toute part ; il en a banni toute pensée grossière, toute expression immodeste, et représente la femme marchant dans sa beauté, revêtue de tous les attributs chevaleresques d’une grâce et d’une pureté presque surnaturelles.

Jacques fleurit à peu près à l’époque de Chaucer et de Gower, et fut évidemment l’admirateur passionné de leurs écrits. En effet, dans une de ses stances il reconnaît en eux des maîtres, et dans quelques passages de son poëme nous trouvons des traces de ressemblance avec leurs productions, plus spécialement avec celles de Chaucer. Cependant il y a toujours dans les ouvrages d’auteurs de la même époque des traits généraux de ressemblance, qui proviennent moins de l’imitation que de l’époque elle-même. Les écrivains, comme les abeilles, vont au loin par le monde chercher leurs sucs ; ils incorporent à leurs propres conceptions les aneedotes et les pensées qui circulent dans la so-