attachées aux établissements religieux pour le bénéfice des vieillards décrépits, où, grâce au repos, à une bonne nourriture et à l’absence d’occupations, ils parviennent souvent à la plus avancée comme à la plus inutile des vieillesses. Vous parlez de vos contemporains comme s’ils étaient en circulation — où rencontrons-nous leurs ouvrages ? Est-ce que nous entendons parler de Robert Groteste de Lincoln ? Personne plus que lui n’aurait pu suer sang et eau pour devenir immortel. On dit qu’il écrivit près de deux cents volumes. Il a élevé, pour ainsi dire, une pyramide de livres, afin d’éterniser son nom. Mais, hélas ! depuis longtemps la pyramide s’est écroulée ; il n’en reste plus que quelques fragments dispersés dans plusieurs bibliothèques, où leur sommeil est rarement troublé, même par l’antiquaire. Est-ce que nous entendons parler de Giraldus Cambrensis, l’historien, l’antiquaire, le philosophe, le théologien et le poëte ? Il refusa deux évêchés, afin de pouvoir se renfermer et écrire pour la postérité ; mais la postérité ne s’enquiert jamais de ses travaux. Est-il question de Henri de Huntingdon, qui, sans parler d’une savante histoire d’Angleterre, écrivit un traité sur le mépris du monde, dont le monde ne s’est vengé qu’en oubliant son auteur ? Que cite-t-on de Joseph d’Exeter, surnommé le prodige de son siècle pour la composition classique ? De ses trois grands poëmes héroïques, l’un est perdu pour toujours, à l’exception d’un simple fragment ; les autres ne sont connus que d’un petit nombre de curieux en littérature ; et quant à ses vers d’amour et à ses épigrammes, ils ont entièrement disparu. Qu’y a-t-il en circulation de John Wallis le franciscain, qui acquit le nom d’Arbre de Vie ? De William de Malmsbury, — de Siméon de Durham, — de Bénédict de Peterborough, — de John Hanvil de Saint-Albans, — de…
— Mais, ami, s’écria l’in-quarto d’un ton bourru, quel âge me donnez-vous donc ? Vous me parlez là d’auteurs qui vivaient bien avant mon époque, et qui écrivirent soit en latin, soit en français, de sorte qu’ils s’expatrièrent en quelque sorte eux-mêmes, et méritaient d’être oubliés[1]. Mais moi, monsieur, quand je fis
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Nombre d’excellents esprits se sont grandement complus à écrire en latin et en français, et ils ont fait de grandes choses, mais certes il en est qui écrivent leurs poésies en français et qui font éprouver autant de plaisir aux Français que nous en avons à entendre l’anglais d’un Français.
- Chaucer — Testament de l’Amour.