duite de leur nièce ; car il n’est pas de duègne plus rigide, plus prudente, plus inexorablement à cheval sur les bienséances, qu’une coquette surannée. Rarement lui était-il permis de s’écarter ; jamais elle ne franchissait les domaines du château que bien escortée…, ou plutôt bien gardée. On lui lisait continuellement des sermons sur le strict décorum et l’obéissance aveugle ; et quant aux hommes — fi donc ! — on lui avait appris à les tenir à une telle distance, ils lui faisaient si fort ombrage, qu’à moins d’une autorisation en forme elle n’aurait pas eu seulement un regard pour le plus beau cavalier du monde — non, quand bien même il serait venu mourir à ses pieds.
Les bons effets de ce système étaient merveilleusement apparents. La jeune fille était un type de convenance et de docilité. Tandis que d’autres exhalaient leurs parfums au milieu de l’éclat du monde, exposées à se voir cueillir et rejeter ensuite par toute main, elle s’épanouissait dans l’ombre et devenait une fraîche et ravissante jeune femme sous les auspices de ces deux filles immaculées, comme un bouton de rose qui sort tout rougissant du milieu des épines qui le protègent. Ses tantes la contemplaient avec orgueil et ravissement, et disaient à qui voulait l’entendre que toutes les jeunes filles du monde pourraient bien s’égarer sans que, grâce au ciel, rien de semblable arrivât à l’héritière des Katzenellenbogen.
Quelque mesquinement partagé, toutefois, que fût en enfants le baron Von Landshort, son train de maison n’en était pas moins considérable pour cela, car la Providence l’avait enrichi d’une profusion de parents pauvres. Tous, depuis le premier jusqu’au dernier, avaient ces sentiments d’affection qu’éprouvent d’ordinaire les parents que la fortune a maltraités, étaient prodigieusement attachés au baron, et saisissaient toutes les occasions possibles de venir par bandes animer le château. Toutes les fêtes de famille étaient célébrées par ces bonnes gens aux dépens du baron ; et quand ils étaient rassasiés de bonne chère, ils ne manquaient pas de déclarer qu’il n’y avait rien au monde d’aussi délicieux que ces réunions de famille, ces jubilés du cœur.
Le baron était un petit homme, mais il avait l’âme grande, et son cœur se gonflait à la pensée qu’il était le grand homme de ce petit monde qui l’entourait. Il aimait à faire de longs récits