Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/173

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ble plaisanterie du jeune cavalier, et que le caractère lugubre même du caprice semblait s’accorder assez avec la mélancolie du personnage. Mais cette opinion attira sur lui l’indignation de toute la compagnie, et surtout du baron, qui le regarda presque comme il eût fait un infidèle, de sorte qu’il fut obligé d’abjurer au plus vite son hérésie et de rentrer dans le giron de la saine croyance.

Mais quels que pussent avoir été les doutes conçus, ils furent entièrement dissipés le lendemain par l’arrivée de messagers réguliers qui confirmèrent la nouvelle de l’assassinat du jeune comte, et de son enterrement dans la cathédrale de Wurtzbourg.

On peut juger de l’épouvante qui régnait au Château. Le baron, s’enférma dans sa chambre. Ses hôtes, qui étaient venus pour se réjouir avec lui, ne pouvaient songer à l’abandonner dans sa détresse. Ils erraient le long des cours, ou se formaient en groupes dans la salle à manger, secouant la tête et haussant les épaules pour déplorer les ennuis d’un si excellent homme, et restaient à table plus longtemps que jamais, et mangeaient et buvaient plus vaillamment que jamais, afin de conserver leur courage. Mais la situation de la fiancée-veuve était encore plus lamentable. Avoir perdu un mari avant même qu’elle l’eût seulement embrassé — et quel mari ! si le fantôme lui-même était si gracieux et si noble, quel devait-il avoir été de son vivant ! Elle remplissait la maison de ses gémissements.

La nuit du second jour de son veuvage, elle s’était retirée dans sa chambre, accompagnée d’une de ses tantes qui voulait absolument coucher avec elle. La tante, une des meilleures conteuses d’histoires de revenants de toute l’Allemagne, venait précisément de narrer une de ses plus longues, et s’était endormie au beau milieu d’icelle. La chambre était reculée et donnait sur un petit jardin. La nièce, de son lit, contemplait d’un air pensif, dansant sur les feuilles d’un tremble en face de la croisée, les rayons de la lune qui montait. La cloche du château venait justement de tinter minuit, lorsque de doux accords s’élevèrent du jardin. Elle quitta précipitamment son lit, et se dirigea d’un pas léger vers la fenêtre. Une forme imposante se dressait au milieu de l’ombre projetée par les arbres. Comme la tête se relevait, un rayon tombé de la lune éclaira son visage. Ciel et terre ! elle reconnut le spec-