Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/176

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prit) s’annonça comme étant sir Hermann Von Starkenfaust. Il raconta son aventure avec le jeune comte ; il dit qu’il s’était hâté de porter au château la triste nouvelle, mais que l’éloquence du baron l’avait interrompu toutes les fois qu’il avait essayé de faire son récit ; que la fiancée l’avait entièrement captivé ; que, pour passer quelques heures auprès d’elle, il avait aidé par son silence à la prolongation de la méprise ; qu’il avait été cruellement embarrassé pour opérer décemment sa retraite, jusqu’à ce que les histoires de revenants du baron lui suggérassent l’idée de sa bizarre sortie ; que, craignant l’hostilité féodale de la famille, il avait en secret réitéré sa visite — avait fréquenté le jardin au dessous de la fenêtre de la jeune fille — avait fait sa cour — l’avait obtenue — l’avait, triomphant, enlevée — bref, avait épousé la belle.

En toute autre circonstance le baron eût été inflexible, car il était jaloux de son autorité paternelle et pieusement obstiné dans toutes ses rancunes de famille ; mais il aimait sa fille ; il l’avait pleurée comme perdue ; il se réjouissait de la trouver encore vivante ; et quoique son mari fût d’une maison ennemie, cependant, grâce au ciel, ce n’était pas un fantôme. Il y avait bien, force est d’en convenir, quelque chose qui ne s’accordait pas précisément avec ses notions sur la stricte véracité, dans le tour que lui avait joué le chevalier de se faire passer pour un mort ; mais plusieurs vieux amis là présents, qui avaient vu du service, lui assurèrent que tous les stratagèmes étaient excusables en amour, et que le jeune homme avait droit à un privilége spécial, ayant tout récemment servi dans la cavalerie.

L’affaire s’arrangea donc heureusement. Le baron pardonna sur le lieu même au jeune couple. Les réjouissances recommencèrent au château. Les parents pauvres écrasèrent ce nouveau membre de la famille de leur ardent amour : il était si noble, si généreux — et si riche ! Les tantes, il est vrai, furent bien un peu scandalisées de ce que leur système de rigoureuse séquestration et d’obéissance passive fût si tristement illustré : mais elles l’attribuèrent uniquement à ceci, qu’elles avaient oublié de faire mettre des grilles aux fenêtres. L’une d’elles fut particulièrement mortifiée de voir gâter son histoire merveilleuse, et que l’unique fantôme qu’elle eût jamais vu n’en fût, en somme, qu’une